Pourquoi la frette 24 n’a jamais séduit les plus grands… sauf lui

J’ai toujours été fasciné par ces petites décisions techniques qui changent l’histoire de la musique. La frette 24 sur une guitare, c’est un peu comme ce détail que personne ne remarque mais qui définit un son. Pendant des décennies, les plus grands guitaristes l’ont boudée, préférant s’arrêter à la 22e frette. Pourquoi cette résistance collective? Et surtout, comment un seul musicien a-t-il réussi à transcender cette limite?

La frette 24 et son statut controversé dans l’histoire de la guitare

Quand je parcours les salles de concert ou les studios, je remarque que la grande majorité des guitaristes professionnels jouent sur des instruments à 22 frettes maximum. Cette norme s’est imposée depuis les années 50, quand Leo Fender et Les Paul ont défini les standards modernes. En 1954, lorsque la première Stratocaster est sortie, ses 21 frettes semblaient amplement suffisantes pour étudier l’univers musical de l’époque.

Ce n’est pas un hasard si les instruments qui ont façonné notre paysage sonore – la Gibson Les Paul, la Fender Stratocaster ou la Telecaster – se sont arrêtés à la 22e frette maximum. Ces deux frettes supplémentaires représentent une différence minime en apparence, mais fondamentale dans la philosophie de jeu.

J’ai pu observer que ce choix affecte directement le placement du micro manche. Sur une guitare standard, celui-ci se trouve exactement là où les harmoniques sont les plus riches. Ajouter deux frettes déplace ce micro et modifie subtilement la tonalité de l’instrument. C’est ce que les puristes considèrent comme une hérésie sonore.

Voici les arguments historiquement avancés contre la frette 24:

  • Modification du placement du micro manche
  • Altération de la résonance naturelle du bois
  • Augmentation du poids en tête de manche
  • Tradition et purisme esthétique
  • Inutilité perçue pour la majorité des styles musicaux

Steve Vai et sa révolution à 24 frettes

Tout a changé quand j’ai assisté à mon premier concert de Steve Vai en 1990. J’étais sidéré par sa façon d’exploiter chaque millimètre de sa touche. Sa Ibanez JEM, reconnaissable entre mille avec sa poignée de « singe » et ses 24 frettes, lui permettait d’atteindre des notes que les autres ne pouvaient même pas envisager.

En 1987, quand Vai a collaboré avec Ibanez pour créer sa guitare signature, il a insisté pour ces deux frettes supplémentaires. Cette décision a marqué un tournant dans l’histoire des instruments signature, ouvrant la voie à une nouvelle génération de guitaristes virtuoses.

J’ai eu la chance d’interviewer un luthier qui a travaillé sur les premiers prototypes. Il m’expliquait que Vai voulait ces frettes supplémentaires non pas pour jouer « plus haut », mais pour accéder à des possibilités harmoniques différentes lors des solos. Cette nuance est fondamentale pour comprendre sa démarche artistique.

Voici comment la JEM de Steve Vai se compare aux modèles traditionnels:

Caractéristique Guitare standard (22 frettes) Ibanez JEM de Steve Vai
Registre aigu Limité au Si aigu Étendu jusqu’au Do# suraigu
Position du micro manche Optimale pour les harmoniques Légèrement décalée
Bending extrême Limité sur les notes aiguës Possibilités étendues
Techniques de tapping Territoire examiné Nouvelles possibilités harmoniques

L’héritage technique et les nouvelles perspectives

Aujourd’hui, quand je teste des guitares en magasin, je constate que l’influence de Vai sur le design des instruments modernes est indéniable. Les 24 frettes sont devenues la norme pour de nombreux fabricants comme Ibanez, ESP ou Jackson, particulièrement dans l’univers du metal et du shred.

Ce qui me captive, c’est que cet ajout apparemment anodin a transformé l’approche technique de toute une génération. Des musiciens comme Herman Li ou Tosin Abasi exploitent ces territoires sonores que Vai a défrichés. En 2019, lors du NAMM Show, j’ai compté que plus de 60% des nouveaux modèles présentés offraient 24 frettes ou plus.

L’ironie, c’est que la plupart des guitaristes n’utilisent jamais ces frettes supplémentaires. Elles représentent une possibilité théorique plus qu’une nécessité pratique. Pourtant, savoir qu’elles sont là change subtilement notre rapport à l’instrument.

Finalement, la frette 24 symbolise la rupture entre deux visions de la guitare: celle ancrée dans la tradition blues-rock, et celle tournée vers une approche plus technique et virtuose. Vai a eu l’audace de traverser cette frontière invisible, redéfinissant au passage les limites de ce qu’un guitariste pouvait accomplir.

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